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Ileana CORNEA – Critique d’Art et Journaliste à Artension - Paris janvier 2020

 

 

"Ils se nomment les Ebranlés ". Sophie DELPY

 

Le centre de la création de Sophie DELPY c’est l’être humain. Se souciant peu du poids de l’histoire de l’art, elle peint des personnages souriants et joyeux. Les personnes et les cultures qu’elle rencontre dans ses voyages nourrissent son imaginaire. Mais peu à peu son travail change. La matière prend une importance singulière dans sa création. Comme une peinture épaisse, la sensation de la terre lui plait. Elle la palpe et la pétrit. La main semble percevoir ce qui échappe à l’œil. En modelant l’argile, elle est au plus près de ses émotions et sa conscience artistique s’élargit.  

Foulant au pied les lois de l’esthétique rétinienne, sa main travaille avec l’intelligence du toucher atteignant l’aspect tragique de la condition humaine : la joie et la couleur disparaissent de ses œuvres. La peau de ses personnages se confond désormais avec la terre ocre du désert. A l’épreuve du feu, ses œuvres deviennent fortes et vibrantes: « Plusieurs couches environ 4 à la cire chaude. Pas d’émaillage sur cette nouvelle série. »

Profondément marquée par la souffrance des déshérités fuyant leurs patries et refoulés aux frontières d’un monde qu’ils espèrent meilleur, son travail prend de l’ampleur. En ajustant à la céramique des matières diverses elle semble rétablir et consoler l’identité du corps des exclus, comme la déesse Isis, le corps morcelé d’Osiris. Elle les érige totémiques. Ils sont là, présents, témoignant d’une humanité outragée.

Ils ont des visages scarifiés, balafrés, blessés puis reprisés au fil de fer. Leurs yeux sont troués et leur bouche barrée. Imitant les gestes désespérés des migrants se faisant coudre la bouche pour enfin être entendus, l’artiste voudrait les comprendre.   Abasourdi et songeur, l’un d’entre eux repose sa tête dans ses mains longues et osseuses, un sage, un fou ? 

« Je voyage dans les zones reculées du monde. Je vis auprès des gens qui affrontent leur existence dans des conditions difficiles. Ils sont heureux, ils donnent trois fois plus que ce qu’ils en ont. En Amérique du Sud et dans les coins reculés de l’Afrique aussi, mes personnages viennent d’un peu de partout dans le monde : Aita, Elias, Ousmane etc.  « Métal (fil de fer recuit ou brulé, vieilles agrafes), vieux tissus, papiers brulés, et corde de chanvre également brulée. ». Par leur étrange apparence, les dernières œuvres de Sophie DELPY ressemblent étonnamment aux « objets réparés » de la collection des objets africains du Quai Branly.

 

En 2007 l’historien d’art Gaetano Esperanza choisit parmi les 70 000 pièces de la collection du Musée  quelques centaines d’objets qui dorment dans la réserve et les  expose sous le titre « Objets blessés, La réparation en Afrique ». C’est inouï. L’œil occidental en est heurté parce que les réparations sont apparentes, les objets semblent rafistolés : un clou de tapissier européen remplace l’œil dune statuette congolaise. L’esthétique du lisse en prend un coup. Aux yeux de la société africaine on voit les choses autrement. Une fois réparé, l’objet reprend sa vitalité comme un corps après une intervention chirurgicale. Le métal est le pouvoir du forgeron. Il donne à l’objet une nouvelle force. Dans ce contexte, réparer c’est un acte franc, alors que le restaurateur occidental efface les imperfections, les blessures que le temps, les intempéries de la vie lui ont infligé. Restaurer, c’est faire semblant que rien ne s’est passé alors que réparer, c’est un acte de mémoire. En Afrique, « En réparant un objet cassé, on répare aussi un culte et la société même. » En Occident on préfère oublier. Qu’est ce qui ne va pas dans l’âme de l’être humain aujourd’hui ? Semble se demander l’artiste à travers cette belle et forte série qu’elle appelle « les Ebranlés ».

BIOGRAPHIE

Sophie DELPY est artiste plasticienne, autodidacte, née en 1968 dans la Sarthe proche du Mans.

Dès son plus jeune âge, éveillée à diverses pratiques artistiques et plus précisément au modelage et à la peinture, elle savait à 12 ans que l’art ferait partie intégrante de sa vie, de son équilibre. 

Aussi loin qu’elle se souvienne ; une attirance, une empathie, un soutien pour les êtres différents qu’elle défend d’un monde qu'elle trouve déjà cruel.

Ses voyages à travers le monde et notamment le continent africain influencent sa créativité où la rencontre avec les populations est sa priorité.

 

Après des années de pratique picturale pour lesquelles elle remporte trois prix (Médaille de Bronze au Salon de la Rochelle puis une Médaille d'honneur au Salon du GANFA à Nantes en 2013) et mettant de plus en plus de matière sur ses toiles, la sculpture devient une évidence. Dès lors, une série de personnages très colorés en Raku (technique de cuisson céramique japonaise) prend vie. Elle les exposera au Grand Palais à Paris avec la Société des Artistes Français. 

 

Très touchée par la cause des migrants et plus généralement par les différences et inégalités des peuples dans le monde, c'est tout naturellement que naissent en 2019 “Les Ébranlés", une série de sculptures représentant toujours des personnages mais cette fois, habitée par une force, parfois blessés, parfois souffrants, surtout expressifs, présents. Ils nous interpellent et transcrivent sa volonté de proposer un travail artistique porteur d’une réflexion sur notre société.

 

Grâce à sa représentation figurative tout en étant critique sociétale, elle intègre, en 2020, le salon historique Figuration Critique créé en 1978 afin d'affirmer sa volonté farouche de se tenir aux avant-gardes d'une figuration sans cesse renouvelée et combative où l'humain reste le point essentiel.  Elle rejoint également le groupe “singulière sculpture” de Bruno LEMÉE pour le Salon Comparaisons au Grand Palais pour lequel elle reçoit le prix de la Fondation TAYLOR en 2022.

 

Elle est référencée dans deux hors-séries du magazine Artension ainsi que dans quatre numéros de la Revue post brut et néo singulier TRAKT. On retrouve ses œuvres dans différentes collections privées de France, Belgique, Canada, Afrique du Sud, Etats-Unis, Australie ainsi que dans les collections de Marthe CREGUT-PELLEGRINO, François CHAUVET (Hang Art) et Emile BRAHMI.

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